mercredi 29 juillet 2015

Sebastian Barry, Du côté de Canaan

"Quel bruit fait le coeur d'une femme de quatre-vingt-neuf ans quand il se brise ? Sans doute guère plus qu'un silence."
C'est la première phrase de ce roman, et je l'ai trouvée si jolie que je me suis immédiatement lancée dans sa lecture.
Cette vieille femme est Lilly, assise à sa table de cuisine en Formica, le cœur réduit en miettes. A 89 ans, elle n'attend plus de réconfort, mais elle doit raconter avant de disparaître : la perte de ses proches et la beauté d'un matin, le racisme, la bêtise des hommes et la solidarité féminine. Son enfance est marquée par le deuil : la mort de sa mère à sa naissance et celle de son frère dans la boucherie de 14-18. Mariée à un homme poursuivi par l'IRA, elle doit fuir avec lui vers l'Amérique. Veuve, elle devient employée de maison et connaît le mépris, mais aussi la fraternité.
De cette accumulation de malheurs, Sebastian Barry aurait pu construire le pire des mélos, mais il parvient à rester lumineux, glissant les rires derrière les larmes, l'humour face au désespoir. Son écriture élégante accompagne Lilly à tous les âges : mélodique lorsqu'elle revoit sa jeunesse, enflammée quand elle est amoureuse, grave dès lors qu'elle traverse l'Amérique puritaine, spirituelle à la fin de sa vie. La construction alternant passé et présent permet également d'éviter la succession lancinante des années, d'évoquer la noirceur des événements et le charme de rencontres inespérées. « On peut être immunisé contre la typhoïde, le tétanos, la variole, la diphtérie, mais jamais contre les souvenirs, écrit Lilly, [...] il n'existe pas de vaccin. »

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